Les trois romans finalistes du prix France-Québec 2024

Autrice : Catherine Postal

1 – Emmanuelle Pierrot – La version qui n’intéresse personne – Le Quartanier collection « QR », 2023 (premier)

Elle croyait qu’ici, à l’autre bout du monde, au confluent de la rivière Klondike et du fleuve Yukon, elle aurait le droit de vivre libre. De coucher avec qui elle veut, d’aimer qui elle veut, à visage découvert et sans honte. Mais la femme sans honte se déshonore – et contre la femme sans honneur, tous les coups sont permis.

A dix-huit ans, Sacha et son meilleur ami Tom quittent Montréal sur le pouce et aboutissent à Dawson City, au Yukon, où ils trouvent enfin la communauté de punks, d’anars et de vagabonds dont ils rêvaient. Ils adoptent une chienne-louve, Luna, et s’installent sur la Sixième Avenue, dans une cabane sans électricité ni eau courante. De jobs d’été en hivers chômés, de nuits blanches en road trips, d’amantes en amants, des années joyeuses passent dans un monde immense.

 

Mais quand Sacha tombe amoureuse d’un autre, Tom se sent trahi : Sacha n’est qu’une pute, une profiteuse qui mérite d’être punie. Il répand son fiel ; le village choisit son camp. Puis la pandémie frappe. En quarantaine dans une cabane isolée, seule avec un coloc dont elle doit repousser les avances pressantes, Sacha compte les jours, tandis que les Dawsonites confinés font son procès.

La version qui n’intéresse personne, c’est l’histoire inouïe et cruelle d’une victime imparfaite qui, comme si c’était tout naturel, deviendra l’accusée. C’est le cri d’impuissance et de rage qu’elle adresse à celles et ceux qu’elle voyait comme son unique famille, afin que son humanité lui soit rendue. C’est son ultime tentative d’être comprise, crue, aimée.

Ce roman n’est pas qu’une description authentique du Yukon et des personnages marginaux qui s’y retrouvent. C’est un récit qui viendra brasser vos émotions jusqu’au plus profond.

Premier roman. Roman déchirant et subversif !

L’histoire est violente, la plume d’Emmanuelle Pierrot ne fait pas dans la dentelle. Son québécois est sauvage mâtiné de sacres et d’anglicismes : un parler choc que l’on retrouve surtout dans les dialogues.

C’est sauvage, cruel, fascinant, décalé, hors norme et bouleversant à la fois, les thèmes abordés sont actuels et montrent à quel point tout peut déraper très vite et faire d’une femme libérée, une victime imparfaite et ainsi lui faire vivre l’enfer. 

Ce livre est magnifique ! Osé, difficile, vivant, authentique ! J’ai adoré et je vote pour lui, ardemment et passionnément !!!

2 – Éric Chacour – Ce que je sais de toi – Philippe Rey , 2023 (deuxième)

Dans le Caire des années 1980, un jeune médecin suit un destin tracé pour lui. Entre son dispensaire et le prestigieux cabinet hérité de son père, Tarek n’a que peu de place pour se poser des questions. Mais la rencontre d’un être que tout semble éloigner de lui ébranlera son mariage, sa carrière et ses certitudes, ne lui laissant plus d’autre choix que l’exil.

De la communauté levantine d’Égypte aux hivers montréalais, du règne de Nasser jusqu’à l’aube des années 2000, Tarek fuit, erre, et se souvient. Mais sait-il qu’à plusieurs milliers de kilomètres, quelqu’un raccommode les lambeaux de son histoire et tente de remonter, chapitre après chapitre, le cours de sa vie ? Récit d’une absence et d’une réconciliation, Ce que je sais de toi brosse avec délicatesse, humour et sensibilité le portrait d’un clan déchiré et d’une société en pleine transformation. Ce premier roman d’Éric Chacour révèle un auteur à la langue ciselée, à l’esprit lumineux, habité par une compréhension profonde de la nature humaine. Un livre qui embaume l’ail, l’anis et les secrets de famille.

Dans l’Egypte des années 1980, une passion interdite vient bousculer une vie rangée. Mais on ne défie pas impunément le mektoub et, surtout, les conventions.

Avec une retenue qui n’a d’égale que son intensité, ce premier roman à l’écriture magnifiquement ciselée explore les profondeurs d’un drame enseveli sous le secret. D’une extrême délicatesse, le récit plein d’empathie évoque sans jamais juger, laissant à comprendre de l’intérieur les perceptions et réactions des différents protagonistes. De tout cela émerge peu à peu une tragédie en cascade, aux répercussions infinies et irréparables, sauf à compter, au moins partiellement, sur l’affection, l’intelligence et l’opiniâtreté a posteriori du narrateur. Un livre bouleversant, magnifiquement écrit, tout en finesse et sensibilité, qui, de la triste banalité humaine de cette histoire, parvient à dégager, tel un diamant de sa gangue, la quintessence universelle de l’amour et de la filiation. 

Des    années    de    silence,    d’abandon,    d’exil,    de    secrets    de    famille.

L’écriture est profonde et lumineuse, sans violence en dépit de cette fatalité, le récit dégage de la douceur. Il y a les odeurs de ce pays, le miel, la fleur d’oranger, les épices. Le dépaysement est total.

Ce livre est rayonnant, doux et cruel à la fois à la lecture, amertume et tendresse, bonheur et tristesse, tout à la fois. 

3 – Anne-Marie Duquette – Les fleurs sauvages n’ont de sauvage que le nom – Romanichels XYZ , 2023 (troisième)

Qu’il est fou de vouloir faire pousser un enfant en ligne droite. Surtout un garçon comme Gamin, qui n’a d’amitié que pour les arbres. Pour les arbres, et pour Beth. Alors de grâce, ne lui enlevez pas Beth. Parce qu’alors, il n’aura plus de raison, plus de raison aucune, pour continuer à vivre dans cet amas de planches et de cendres et d’ennui que les autres appellent « maison »

Ariette avait sa manière, avec l’étrange Gamin : auprès d’elle, il apprenait les secrets des plantes, les lettres qui se cachaient dans leurs formes déliées, les couleurs qui pouvaient naître de leurs pétales…

D’une poésie envoûtante, d’une sensualité brute et d’un charme intemporel, l’œuvre, qui évoque Le torrent d’Anne Hébert et La belle bête de Marie-Claire Blais, offre un point de vue singulier sur notre rapport à la nature.

Déstabilisant, perturbant, presque angoissant pourtant.

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